Remarques et exemples

Inspiration et imitation simplement scolaire.

Georges de Latour (1593-1652) reprend le procédé du clair-obscur utilisé par Le Caravage (1571-1610) mais en l'investissant d'une nouvelle intention.
Dans les peintures de Le Caravage, la lumière vient latéralement et elle est d'origine naturelle; elle souligne l'intensité dramatique de la scène représentée, elle met en valeur la situation.
Dans les peintures de Georges de Latour, la lumière a, la plupart du temps, une origine artificielle (une bougie par exemple) et provient du centre de la scène à laquelle elle confère du coup toute son intimité. On a le sentiment d'être complice des sentiments des personnages.

Le Caravage
Diseuse de bonne aventure
Le Caravage
L'incrédulité de Saint Thomas
G. de Latour
Le nouveau né
G. de Latour
Saint Joseph charpentier

Que l'art contemporain n'est pas le fruit d'une paresse technique : critique du préjugé "je pourrais en faire autant".

Lire et voir aussi "De l'académisme néo-classique à l'abstraction".
Le bleu de Yves KLEIN

Un peintre se rend célèbre parce qu'il peint une toile tout en bleu : il s'agit de Yves Klein (1928-1962). Mais il ne s'agit pas non plus de n'importe quel bleu : il s'agit d'un bleu strictement défini, le "International Klein Blue", enregistré à L'institut National de la Propriété Industrielle. Ce bleu est obtenu par une procédure : un médium fixatif (une pâte fluide originale substituée à l'huile, liant utilisé traditionnellement en peinture) qui fixe du pigment bleu outremer N° 1311.

Klein écrit : " Le bleu n'a pas de dimension, il est hors dimension, tandis que les autres couleurs, elles, en ont. Ce sont des espaces pré-psychologiques (…). Toutes les couleurs amènent des associations d'idées concrètes (…) tandis que le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel, ce qu'il y a après tout de plus abstrait dans la nature tangible et visible".

La taille même de la toile importe puisque, à peine plus haute que la stature moyenne d'un homme, elle le laisse plonger dans cet espace.

Ainsi même une oeuvre apparemment aussi simple résulte d'une réflexion profonde sur la nature et ses éléments, sur la fonction de l'artiste (ici révéler la beauté déjà présente y compris dans des choses apparemment aussi simples).

Pour aller un peu plus loin :
http://www.cnac-gp.fr/education/ressources/ENS-yves_klein/ENS-Yves_Klein.htm

Monochrome bleu (IKB 3), 1960
Pigment pur et résine synthétique sur toile marouflée sur bois
199 x 153 x 2,5 cm

Les "ready made" de Duchamp

Marcel Duchamp (1887-1968) s'est notamment rendu célèbre pour ses "ready made" (allready made : déjà faits). Il s'agit d'exposer dans un musée des objets de la production industrielle et de la vie quotidienne en les détournant de leur fonction usuelle. Sa célèbre Foutain est ainsi en fait un simple urinoir retourné sur lequel il appose une signature "R. Mutt".

Duchamp commente son oeuvre : « Que Richard Mutt ait fabriqué cette fontaine avec ses propres mains, cela n’a aucune importance, il l’a choisie. Il a pris un article ordinaire de la vie, il l’a placé de manière à ce que sa signification d’usage disparaisse sous le nouveau titre et le nouveau point de vue, il a créé une nouvelle pensée pour cet objet ».

En fait, l'oeuvre d'art ici relègue la technique artistique et valorise l'idée (on comprend que Duchamp ait pu nourrir l'inspiration de l'art conceptuel).
La "fontaine" de Duchamp a d'abord été conçue comme une simple blague qui fut interdite d'exposition d'ailleurs et fut redécouverte en 1963 pour une rétrospective sur le dadaïsme (son succès fut tel qu'elle fut reproduite en une vingtaine d'exemplaires).
Cette oeuvre donne à penser, à réfléchir.
- D'abord sur le travail de l'artiste : à partir de quel type de transformation un matériau ou un objet devient-il oeuvre d'art?
- Sur le rôle de la muséographie (de l'exposition dans un musée) dans la labellisation "oeuvre d'art" : faut-il et suffit-il qu'une oeuvre soit exposée dans un musée pour être considérée comme "oeuvre d'art"?
- Sur le rôle de l'artiste : n'est-il pas artiste celui qui apprend à regarder notre monde en conférant à ses objets une autre fonction, une autre signification que celles usuelles que nous lui accordons dans l'indifférence utilitaire à ce que sont les choses?
Duchamp était grand amateur de jeux de mots : la signature de cette oeuvre, "R. Mutt" fut l'objet de plusieurs interprétations : ce nom pourrait découler de l'expression allemande "armut" qui signifie la pauvreté. Cette signature peut aussi se décomposer en "R M u-t-t" qui donne "Ready-made eut été". En anglais, "R. Mutt" peut être dit "art mute" (en anglais) ; autrement dit, Duchamp, par cette signature, aurait signifié la mutation de l'art qu'il était en train d'opérer.


Une autre oeuvre de Duchamp qui s'inscrit dans le cadre des ready-made : cette carte postale qui représente la Joconde affublée d'une moustache, d'une barbichette et des lettres qui donnent le titre à l'oeuvre : L.H.O.O.Q.!


Le beau n'est pas la représentation d'une belle chose mais la belle représentation d'une chose

Une oeuvre d'art peut représenter une chose désagréable voire laide, voire ne rien représenter du tout. Ce qui importe c'est que la représentation de cette chose soit belle.

Ainsi Flandres du peintre expressionniste Otto Dix (1891-1969) représente l'horreur de la guerre de tranchées mais cette représentation sans être agréable est belle au sens où elle provoque le libre jeu de notre sensibilité, de notre imagination, de notre entendement et de notre raison et que ce libre jeu de nos facultés nous procure une satisfaction, un plaisir : ici celui de la dénonciation crue et légitime d'une guerre stupide où les hommes s'enlisent et se noient dans l'indifférence du déluge après la violence aveugle du feu ennemi et la folie humaine.

"Tous ces hommes à face cadavérique, qui sont devant nous et derrière nous, au bout de leurs forces, vides de paroles comme de volonté, tous ces hommes chargés de terre, et qui portent, pourrait-on dire, leur ensevelissement, se ressemblent comme s'ils étaient nus. De cette nuit épouvantable il sort d'un côté ou d'un autre quelques revenants revêtus exactement du même uniforme de misère et d'ordure."

Henri Barbusse

Otto Dix
Flandres
Huile et tempera sur toile
(Neue Nationalgalerie, Berlin)

En littérature, on trouve de nombreux romans ou poèmes qui évoquent des situations ou des événements tragiques voire répugnants mais à travers une esthétique qui procure le sentiment du beau, une satisfaction, celle de l'adéquation entre l'art et son propos.

S'il fallait reprendre le thème de la Première Guerre Mondiale, nous pourrions citer le début de ce roman de Louis-Ferdinand Céline (1894-1961): Voyage au bout de la nuit mais cette oeuvre entière est exemplaire de cette aptitude de l'art à représenter et suggérer cette noirceur de la vie où le bonheur ne luit que comme une pénombre furtive.

En poésie, Une charogne de Baudelaire (1821-1867) décrit un cadavre d'animal en putréfaction, Le dormeur du val de Rimbaud (1854-1891) provoque un retournement horrible dans la description de ce "trou de verdure où chante une rivière", retournement brutal précédé d'une mise en doute insidieuse à la fin de la deuxième et de la troisième strophe et achevé par "deux trous rouges au côté droit".